vendredi 21 décembre 2012

A Rebecca, Ricardo, Dany, Fiorina, Benny, et les autres...



Les amis,


En quittant le bidonville ce soir, j'ai eu l'idée insensée de vous écrire un mot. Cette idée est en effet insensée : le Maire de Ris Orangis vous refusant l'accès à l'école républicaine, vous ne savez toujours pas lire la langue française et ne pouvez donc recevoir ce mot que je vous adresse. Puisque les autorités locales s'obstinent dans cette position pour le coup insensée, indéfendable en droit  (je le souligne aux citoyens européens que vous êtes, et aux français que certains d'entre vous deviendrons, nés sur ce territoire qui vous refoule), je vous promets d'apprendre bientôt le Roumain. En attendant je fais avec les moyens du bord, ce que vous comprendrez aisément. D'ailleurs, nous ne parlons pas la même langue, mais nous nous comprenons. Avec d'autres, c'est l'inverse.

Voilà quelques semaines que, ensemble, nous préparons cette fête de demain. Elle approche, et je sais combien elle est importante pour vous. Ce moment que nous avons passé ensemble avant-hier à inviter d'autres gamins de la ville est un souvenir indescriptible. J'ai vu, à m'en crever les yeux, que notre action tirait tout son sens de votre enthousiasme indécrottable, inexpulsable, indestructible. C'est vous qui avez fait se lever l'Ambassade du PEROU. C'est vous qui avez fait se déplacer des dizaines d'amis pour nous aider. C'est vous qui avez donné à Yvette, Toinette et Nicole la patate pour organiser la cantine du chantier. C'est vous qui avez conduit vos parents à se montrer si bienveillants, si rayonnants à l'idée de faire un bout de chemin avec nous. C'est vous qui avez fait tourner notre monde, qui tournait rond, et roulait vers sa destinée : faire que le monde hostile alentour finisse enfin, comme l'avaient programmé les Mayas, et faire que l'hospitalité prenne enfin ses droits. Or, aujourd'hui le vieux monde n'en finit pas de nous accabler, et c'est notre monde tout rond que l'on souhaite faire s'arrêter.

Demain, alors que vous deviez rencontrer chez vous des enfants du voisinage, vous risquez d'en être séparés par un cordon de forces de l'ordre. C'est en substance ce que promet un arrêté municipal qu'un agent est venu placarder sur le flanc de l'Ambassade à 17h30, à l'heure précise où ferme la Mairie de Ris Orangis nous empêchant malheureusement de prendre contact avec ses responsables pour tenter de dialoguer un peu mieux que cela. Pour vous épargner la lecture des "considérants" motivant la décision de cet exécutif municipal républicain, socialiste et européen, je vous en résume la teneur : chez vous il y a des rats, de la boue, des baraques approximatives et des maladies ancestrales sans doute ; il est donc impensable d'accueillir là des enfants tout propres de l'extérieur. Conclusion : votre fête est dangereuse, déraisonnable, insensée. Vous voyez, j'ai beau parler la même langue que le Maire, je n'en saisis pas la poésie. L'usage de la force est son vocabulaire, l'aveuglement sa tonalité. Tout m'échappe dans ce charabia qui singe la raison et transpire la peur panique de voir, un beau jour, un enfant Rom sourire avec un enfant bien de chez nous devant un spectacle sans frontière.

Mes amis, notre monde est défait. Je compte sur vous, sur les citoyens européens que vous devenez, pour nous tirer d'affaire ! En attendant, comptez sur moi, sur nous, pour vous retrouver demain, et pour nous marrer ensemble comme si c'était encore permis.


Sébastien


PS : En pièce jointe, pour vos archives, l'arrêté municipal en question.
PS 2 : Dire que je vous harcèle depuis des jours pour vous demander de jeter les papiers dans les poubelles, dire que nous avons passé des heures ensemble à ramasser les déchets, à les évacuer avec l'aide des riverains, et à faire place aussi nette que possible, dire que nous avons installé des toilettes sèches que nous avons décorées ensemble, dire qu'on a demandé à la municipalité de nous accompagner dans ce travail, de mettre en oeuvre enfin un ramassage des déchets... et voilà qu'ils nous disent qu'on est tout de même trop sales. J'ai honte de cette classe politique française, et je vous dois un peu des excuses.






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