mardi 26 mars 2013

Incroyable nouvelle !


Où il est conté qu'au regard de la seconde partie de la journée vécue Place de l'Ambassade, le pire se prépare. Où il est conté qu'au regard de la première partie de la journée, le meilleur s'envisage. Où il est conté qu'au regard de la première partie de la journée, les événements de la seconde sont au choix : surréalistes, ahurissants, incompréhensibles. Où il est conté que si le pire se précise effectivement, armés de notre détermination enthousiaste, nous mettrons évidemment tout en oeuvre pour y faire face. Où il est conté que, dans ce cas là, nous aurons besoin mardi matin de la détermination enthousiaste de chacun des lecteurs de ce blog, de chacun des voisins de la Place de l'Ambassade, de chacun des étrangers en leur propre pays qui ne se reconnaissent pas dans les coutumes politiques qui ont aujourd'hui cours, et suivant lesquelles mépriser ce qui s'invente, détruire ce qui s'élabore, balayer la Place de l'Ambassade et celles et ceux qui l'habitent pourraient faire office de "politique publique".  


La journée avait paisiblement débuté. Certes, dès 9h du matin, le parfum de l'exceptionnel enveloppait déjà les esprits : avec 17 adultes du bidonville, nous nous retrouvions dans une salle de la commune où une dizaine d'employeurs les attendait pour envisager leur recrutement dans le cadre de chantiers d'insertion. Fort de 8 années de galère sur le territoire français, dont 6 en Essonne, et 16 expulsions au compteur, Dragomir n'en revenait pas : enfin, pour une fois, opportunité lui était donnée de trouver un travail digne de ce nom, de vivre le plus simplement du monde ici-même, d'offrir à son épouse et ses trois incroyables filles un avenir de citoyens européens parmi nous. Les employeurs eux-mêmes en furent saisis, ne s'attendant pas à rencontrer tant d'enthousiasme et de désir. Un membre du cabinet du Président du Conseil Général fut même applaudi : une presque liesse pour signifier combien les perspectives de vie décente que cette matinée dessinait étaient, jusque là, hors de portée de la pensée de chacun. Mais tout exceptionnel qu'il fut, ce moment avait été préparé : depuis la veille nous en connaissions le menu, depuis quelques jours déjà nous nous attendions à en goûter le plaisir. Notre joie était donc réelle, mais contenue.

Contenir notre joie s'imposait d'autant plus qu'alentour, l'humeur était sombre et le paysage dévasté. A Ormoy, à quelques kilomètres de là, au moment même où l'on envisageait le meilleur avec Dragomir et 16 autres camarades de la Place de l'Ambassade, d'innombrables familles connaissaient l'effroi d'une nouvelle expulsion, l'errance invraisemblable, l'hébétude et la détresse. A quelques kilomètres de là, le pire avait lieu. Plus exactement : à des années lumières de là. Et le tout dans le silence le plus assommant de la presse, des élus, des indignés, et des autorités morales de ce pays. Comme si à Ormoy, sur le bidonville dit de Moulin-Galant, la vie n'avait été qu'un mirage, une lubie dont seuls quelques allumés pouvaient porter témoignage. Comme si, ici-même, rien ni personne n'avait existé. A Ris-Orangis, nous poursuivions notre conquête d'une existence, et rentrions dans le bidonville la victoire modeste, et surtout loin d'être acquise, et de surcroît encore à distance certaine de celles et de ceux qui n'avaient pas été sélectionnés pour ces premières candidatures, et que nous retrouvions alors.

Puis tout s'est précipité. Vers 15h, une bonne douzaine de gardiens de la paix se sont présentés à nous pour nous délivrer l'incroyable nouvelle : vendredi 29 mars, le Maire de Ris-Orangis publiera son arrêté d'évacuation ; le mardi 2 avril, sans doute à l'aube, la libération définitive de la Place de l'Ambassade aura lieu. A cet instant là, contenir notre joie nécessitait un effort surhumain. Enfin, après ces semaines et ces mois d'aventure commune, de doutes mais aussi d'espérance, une issue s'annonçait pour tous. Et quelle issue ! Certes, nous savions depuis quelques semaines maintenant combien les autorités s'étaient mobilisées autour de la Place de l'Ambassade : le Préfet souhaitait qu'ici même soit faite la démonstration d'une application pleine et entière de la circulaire du 26 août ; le Président du Conseil Général tenait à ce que l'on y prouve enfin qu'un avenir meilleur était possible pour ces populations tant et tant méprisées alentour ; le Maire proposait que son territoire accueille durablement un certain nombre de ces familles, et s'engageait ainsi sur un chemin on ne peut plus audacieux au coeur d'un paysage politique résolument frileux. Nous savions donc que les pouvoirs publics se mobilisaient, mais sincèrement, nous n'imaginions pas à quel point.

En moins d'une semaine donc, comme la circulaire l'indique, chacune des personnes va trouver une solution stable et une perspective d'insertion ; en moins d'une semaine, chacune des 34 familles dont le désir de s'installer en France a été relevé par l'enquête sociale diligentée ici-même fin février va pouvoir trouver un foyer, intermédiaire sans doute, mais durable, chauffé, raccordé à l'eau et l'électricité ; en moins d'une semaine, les enfants vont trouver une chambre à eux, un environnement où jouer et pouvoir ici-même, chez eux, inviter leurs camarades de classe. D'ailleurs, le Préfet qui avait fait injonction au Maire de scolariser les enfants trop longtemps refusés à l'Ecole de la République, va forcément veiller, malgré le tumulte nécessairement prodigieux que telle révolution va occasionner, à ce que les enfants ne perdent pas le fil si précieux de l'école. En quelques jours à peine, on va construire de nouveaux logements, forcément expérimentaux, pour donner à ces personnes d'occuper un temps interstitiel avant de rejoindre la ville, et le droit commun. En quelques jours à peine, on va régulariser ces candidats à l'insertion, et mettre définitivement en place les chantiers prévus depuis quelques semaines : celui de rénovation du patrimoine de Ris-Orangis envisagé par le Maire lui-même ; celui de la construction d'espaces d'habitats envisagés par le Préfet ; ceux, dans le diffus, proposés par l'association ARIES ; ceux apportés là par le Conseil Général. L'oeuvre est tellement immense que, bien que ne doutant pas de la détermination de chacun, nous avons peine à croire qu'un si radical changement soit pour maintenant.

Alors, vendredi, le jour même de la publication de l'arrêté par le Maire socialiste Stéphane Raffalli, nous publierons une lettre ouverte à François Hollande, Président socialiste de la République. Là, nous ne manquerons pas de souligner en quoi ce qui a lieu à Ris-Orangis éclaire d'un jour nouveau le socialisme en France en 2013, et donne un éclat tout singulier à ses promesses de campagne, à son désir de porter hautes les valeurs d'humanisme et de solidarité. Là, nous ne manquerons pas de souligner combien, dès la première année de sa mandature, l'Europe est considérée, et combien notre pays reconnaît à ce continent une histoire, des valeurs, et une destinée communes. Là, nous ne manquerons pas de porter témoignage de chacun des pas conquis à Ris-Orangis sur la bêtise et l'aveuglement, et nous lui rapporterons combien, à la lueur de cette semaine incroyable, les acteurs publics auront reconnu ce travail d'humanité. Là, nous lui proposerons de nous rejoindre dans l'Ambassade, et de nous faire partager son regard sur cette aventure et son dénouement.

Et nul besoin de souligner que, mardi matin, nous organiserons une immense fête. Plusieurs fanfares se disent d'ores et déjà disponibles, nous hésitons encore. Mais pour un événement de telle envergure, il nous faudra d'innombrables musiciens : avis aux amateurs ! Quoi qu'il en soit, dans la joie et l'allégresse, nous quitterons ce "délaissé de voirie" pour regarder vers la ville, et trouver le ou les terrains de nos nouveaux établissements. Le PEROU restera bien évidemment là, auprès des familles. L'Ambassade sera le plus naturellement du monde offerte au Maire de Ris-Orangis qui, à n'en pas douter, en fera le plus citoyen des usages.


PS : Au PEROU nous ne sommes pas racistes, ce qui nous fait volontiers accepter les pessimistes. Ceux-ci seront donc également les bienvenus mardi matin à l'aube : peut-être aurons-nous aussi besoin d'être nombreux...



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