lundi 18 mars 2013

Nul n'est censé ignorer la loi

"Les démantèlements de camps roms se poursuivront". Tel est le titre d'un entretien accordé par Manuel Valls, Ministre de l'Intérieur, au journal Le Parisien dans son édition du jeudi 14 mars. A l'Intérieur s'était forgé le style sarkozyste, si ce n'est la philosophie politique du futur Président de la République : désinvolture et emporte pièce. L'institution en charge du maintien de l'ordre républicain, si ce n'est du contrôle social, avait alors pris le visage de l'incontrôlé. Le garant de l'application de la loi, et bientôt du respect des institutions de la République tout entière, donnait à sa fonction une identité scabreuse, promesse de bien des involutions à venir.
Manifestement, l'actuel Ministre de l'Intérieur porte aujourd'hui les stigmates de cet héritage. Ses propos ne sont pas discutables, ils sont invraisemblables. La loi de la République ne connaît pas d'identité ethnique ou culturelle ; Manuel Valls nous apprend que les Roms ne "souhaitent pas s'intégrer dans notre pays pour des raisons culturelles". Sur ce sujet précis, le Conseil d'Etat avait rappelé l'existence de l'article 1 de la Constitution à la mémoire du précédent Ministre de l'Intérieur, ce par le biais d'une décision prise le 7 avril 2011 à lire ici. La loi de la République ne saurait distinguer, parmi les citoyens européens, de sous catégorie impliquant quelque traitement différencié que ce soit ; Manuel Valls nous apprend que "les Roms ont vocation à rester en Roumanie, ou à y retourner". Des dizaines de milliers de Portugais, mais aussi Espagnols castillans comme catalans, tous immigrés économiques, ont franchi la frontière française en 2012 ; nul ne s'est inquiété semble-t-il de leur "vocation" pour quelque raison culturelle que ce soit. D'innombrables britanniques ont élu domicile en Dordogne depuis des lustres pour y vivre sans autre ressource que l'amour et l'eau fraîche ; aucun charter n'est à ce jour prévu pour les reconduire jusque sur le tarmac d'Heathrow.
Dans les colonnes du Parisien, puis du Figaro le lendemain, s'expose ce que les journalistes qualifient de "politique de fermeté". C'est se méprendre : la fermeté, du point de vue de la République, c'est faire s'appliquer la loi, toute la loi, rien que la loi. Aujourd'hui, suivant la doctrine d'un Ministère de l'Intérieur abandonné à l'incontrôlé, c'est une politique de laxisme qui s'annonce, sourde et aveugle à la loi, contraire à ses fondements même.

La veille de la publication de cet entretien vertigineux, le Préfet de l'Essonne recevait le PEROU dans le cadre d'une réunion de travail réunissant notamment les services du Conseil Général de l'Essonne et de la Mairie de Ris-Orangis, mais aussi des responsables de l'association ARIES dont l'objet est le développement de projets d'insertion professionnelle. Le Préfet en rappelait d'emblée le cadre : la mise en application, à Ris-Orangis, de la circulaire du 26 août 2012 "relative à l'anticipation et à l'accompagnement des opérations d'évacuation des campements illicites" (pour mémoire, le texte de la circulaire est à lire ici). La réunion débutait par un exposé des résultats de l'enquête sociale conduite le 20 février, où l'on soulignait la qualité des installations mises en oeuvre par le PEROU, et même la singulière qualité des baraquements sur lesquels nous ne sommes pas directement intervenus. La réunion se poursuivait sur le thème de la mise en oeuvre d'un ou plusieurs projets d'insertion à destination de "12 familles au moins", ceci signifiant leur régularisation et leur inscription dans le durée sur le territoire de Ris-Orangis à travers un projet d'habitat temporaire à mettre en oeuvre ailleurs qu'en bordure de la Nationale 7. Suivre ces perspectives tracées par le Préfet c'est contribuer à ce que démonstration soit faite que les Roms n'ont pas de vocation à errer en raison de leur culture, mais le désir de construire leur vie parmi nous en tant que citoyens européens. C'est la raison pour laquelle le PEROU s'est affirmé convaincu de la justesse d'une telle initiative, et déterminé à accompagner les pouvoirs publics dans sa réalisation. Ces positions ont été rappelées au Préfet dans une lettre qui lui a été aujourd'hui adressée, lettre insistant sur la disponibilité du PEROU dans la perspective de contribuer à la mise en oeuvre très concrète de ce projet.
Nul n'est censé ignorer que la circulaire exige que des réponses de cet acabit, visant la "stabilisation" de chacune des personnes en vue de leur "insertion" soient inventées. Sa pleine application impose donc que pour la trentaine de familles a priori non concernées par le chantier dont il était question mercredi, d'autres réponses aussi ambitieuses que cela soient inventées, et ce avec tout l'engagement du PEROU que cela peut nécessiter. Puisque nous sommes attachés à chacune des personnes avec lesquelles nous avons construit la Place de l'Ambassade, et puisque nous sommes attachés à la lettre des lois de la République, nous veillerons à ce que chacun quitte le terrain en direction d'un avenir assurément meilleur. Nul ne peut douter que le Préfet en est convaincu, et lui-même déterminé à suivre cet horizon là.

Le Maire lui-même n'est pas censé ignorer la loi, ni bien évidemment notre détermination. Or deux éléments continuent de nous inquiéter sérieusement, et de nous faire douter de ceci comme de cela. D'une part, le Préfet a rappelé que la Place de l'Ambassade devait être rayée de la carte d'ici la fin du mois de mars, ceci en raison de la position ferme du Maire sur le sujet. Accéder à ce voeu municipal, c'est fatalement faire obstacle à la pleine application de la circulaire du 26 août : la mise en oeuvre du chantier d'insertion, de l'habitat temporaire pour 12 familles, et a fortiori de réponses favorisant la stabilisation et l'insertion des autres familles, nécessite tout autant de détermination que de patience. Le calendrier que souhaiterait imposer le Maire n'est donc pas seulement invraisemblable : il condamne de fait tous les acteurs publics à se retrouver hors la loi.
D'autre part, le Maire souhaite justifier l'expulsion rapide du bidonville en raison d'un "péril imminent" qui menacerait les personnes. Le Préfet, responsable de la mise en application d'un tel arrêté, n'est pas censé ignorer qu'une telle procédure nécessite, pour être engagée, quelques conditions de forme comme de fond. En tout premier lieu, tout arrêté de péril imminent doit être précédé d'un rapport d'expertise judiciaire sollicité auprès du Tribunal Administratif, et concluant à l'existence d'un péril grave et imminent. En second lieu, comme nous l'avons déjà exposé dans deux billets sur ce blog, l'un datant du 21 février (à lire ici), l'autre datant du 9 décembre (à lire ici), un arrêté de péril s'entend en droit positif au regard de l'article L.511.1 et suivant du Code de la Construction et de l'Urbanisme. Plus précisément, le danger pouvant justifier telle procédure doit émaner d'un édifice, c'est à dire "d'une construction de toute nature élevée au-dessus de la terre"(CA Paris, 26 novembre 1946 - JCP.G.1947 II). De plus, la cause du danger doit résider dans la construction elle-même, et ne peut lui être extérieure : l'édifice doit menacer ruine, et le passage d'un cours d'eau non sécurisé devant un édifice bien portant ne saurait justifier, c'est une évidence, quelque évacuation que ce soit. Ceci nous conduit vers un troisième et dernier considérant : quand bien même un édifice menacerait-il ruine ou de prendre feu sur le bidonville, la proportionnalité de la réponse, principe fondamental en droit public, implique que les mesures effectivement prises soient les moins lourdes, coûteuses, et dévastatrices pour les personnes d'entre toutes. Or, nous nous efforçons depuis notre arrivée de répondre terme à terme aux dangers qui se présentent sur le bidonville et finissons aujourd'hui par exemple de mettre en étanchéité le réseau électrique et d'équiper le bidonville en extincteurs. Nul n'est censé ignorer que de telles réponses s'avèrent plus appropriées, et moins disproportionnées, que l'expulsion dans 10 jours des familles n'ayant, dans ces délais, aucune chance d'accéder à ce que la loi impose : un avenir digne non seulement des être humains dont il s'agit, mais encore des citoyens européens qu'ils s'avèrent.

Pour l'heure, nous ne pouvons croire que ce qui a été engagé avec les familles, puis élaboré avec les pouvoirs publics, se trouve anéanti pour des raisons dépassant tant l'entendement que le strict cadre de la loi. Il ne peut y avoir d'autre issue qu'heureuse, ce que la loi n'ignore pas.



Ici, l'Ambassade ne menace pas ruine : elle promet
la construction d'un avenir pour chacun.


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