mardi 2 juillet 2013

Un appel (Colonie de la vacance)

"Un lieu c'est où quelque chose arrive".
Jean-Luc Nancy s'en tient à cette sobre définition dans la dernière livraison de L'Impossible, à l'amorce d'un texte où c'est la place Taksim que l'on célèbre. La place, à prendre, à faire, tel était le sujet d'une discussion que nous avons eue avec Roland Castro, Olivier Mongin et Jacques Donzelot dimanche dernier à la Règle du jeu, discussion à écouter ici. Faire place est bien davantage que faire de la place : l'enjeu s'avère non pas simplement de trouver un abris, mais de fonder un sol, et de peupler ensemble un monde nouveau. A Ris-Orangis, pour ce faire, nous avons suivi les enfants : souverains, ils prennent en un instant le terrain vague, y déploient leurs propres histoires, l'habitent au mépris de ce qui s'oppose à leur juste folie. Alors, quelque chose arrive.

A Grigny, quelque chose arrive.
Jeudi soir, le Maire a reçu les occupants de la quarantaine de baraques qui peuplent la Folie, terrain vague devenu bien davantage. Des promesses ont été formulées. Ce sont là de certaines avancées dans la conquête d'une vie nécessairement meilleure : installation d'un point d'eau dans les jours prochains ; dépose prochaine de copeaux de bois sur les circulations, garantissant la mise hors boue du site ; ramassage des ordures garanti ; les familles toutes domiciliées au CCAS de Grigny ; les enfants tous scolarisés à la rentrée prochaine - une vingtaine était cette année sans école. Des besoins urgents demeurent aujourd'hui sans réponse : l'installation de toilettes ; la mise en place d'extincteurs. Mais l'ombre demeure également d'une expulsion, bien exigée par la Commune, qui se profilerait à la sortie de l'été. Le Maire s'est néanmoins engagé à proposer aux familles un terrain viable, au delà de la Folie, seul chemin de raison. Quelque chose arrive donc, que nous ne cessons de poursuivre : l'hospitalité.


Aux abords de la Folie, les poubelles municipales
racontent que vivent bien ici des riverains. (24 juin)


A Grigny, un peu plus rapidement malgré tout que les décisions constructives des pouvoirs publics, l'été arrive, et sur la vacance d'un terrain, la colonisation se doit d'être une fête. Alors, nous ferons place à l'enfance. Pour ce faire, nous avons besoin de soutiens en acte, et convions tous les lecteurs de cette missive à nous rejoindre ce week-end ensoleillé sur le terrain de la Folie, pour la cultiver. Les samedi 6 et dimanche 7 juillet, entre 10h30 et 18h30, le monde entier est attendu. Et les outils comme les matériaux (planches, peinture, etc) ne sont pas proscrits...
Ensemble, nous construirons du petit mobilier, planterons des graines, dresserons un chapiteau, dessinerons un espace de jeu, et partagerons l'espace comme le temps. Ici, à partir de la semaine prochaine, un atelier estival prendra vie, avec le concours du PEROU, du collectif de riverains, mais aussi de quiconque voudra y apporter son enthousiasme. Une idée notamment : concevoir un imagier permettant, en romani et français, de nommer les lieux, les alentours, et tout ce qui pourrait se présenter là. Un horizon : publier cet imagier et, pour la rentrée, l'offrir dans les écoles voisines.


Suivre les enfants, sur le chemin de la Folie
comme sur la Place de l'Ambassade.
Photo Aude Tincelin, 22 décembre 2012


PS : Sur le même thème, mais à distance de Grigny, le PEROU poursuit deux projets qui peuvent recevoir avec beaucoup de bonheur la contribution de chacun.

A Paris d'abord, le centre d'hébergement des Enfants du Canal est transformé par nos soins en atelier cartographique. Ici, tout le mois de juillet, nous collectons des données sur l'espace disponible alentour : vides manifestes, failles discrètes, pleins mensongers. L'enjeu : répertorier dans Paris intra-muros des espaces où pourrait se loger un centre d'hébergement nomade. A partir de ce relevé, un collectif de sans-abri lancera à l'automne un appel à projets visant la conception d'un tel centre d'hébergement, non sans avoir défini au préalable avec nous un cahier des charges singuliers, et non sans se constituer in fine en véritable jury d'architecture. A l'horizon : une publication manifeste, une conférence in situ, pour démontrer que coloniser la vacance pour y faire l'hospitalité est non seulement possible, mais également nécessaire.
Pour ce faire, tous les matins de juillet, nous nous retrouvons entre 9h30 et 12h00 au 5 rue Vésale, dans le 5e arrondissement de Paris, adresse du centre d'hébergement des Enfants du Canal. Là, nous établissons le protocole des explorations de l'espace alentour, et lançons les opérations de la journée. Tout est permis, y compris nous rejoindre un jour, ou tout le mois, mais venir avec des instruments de documentation est conseillé.

En Avignon, il y a CASA : le Comité d'Action des Sans-Abri. Il y a ses espaces : la Villa Médicis, centre d'hébergement constitué d'une dizaine de modules types Algeco ; l'Espèce d'espace, accueil de nuit ; et l'ancien Tri Postal, vaste friche industrielle devant laquelle sont installés les espaces sus évoqués. Le tout se situe à deux pas de la gare centrale. A partir de juillet, il y a le projet de CASA : investir enfin le Tri Postal, y établir à terme son centre d'hébergement si singulier, y développer les activités culturelles et artistiques qui s'imposent. Il y a l'invitation faire au PEROU d'accompagner l'association dans la définition des lieux.
Pour inaugurer ce chantier de transformation, nous proposons une d'ouvrir la porte de l'imaginaire : durant le festival d'Avignon, nous invitons en résidence le comédien et metteur en scène Yves-Noël Genod, auteur de biens des pièces renversantes, à lire quotidiennement des correspondances, des lettres, des missives. Pas à pas, l'espace deviendra lieu d'écoute et de divagation, à l'horizontale (forêt de hamacs à l'appui), afin de se laisser aller peut-être à une sieste estivale, et d'ainsi rêver les lieux et leur destination future. Quiconque passe par Avignon entre le 5 et le 26 juillet est le bienvenu au 5bis Avenue du Blanchissage, à deux pas de l'Avenue de la Foire. Là, un coup de main, un morceau de rêve, toute espèce de contribution sera cruciale pour donner à cette colonie de vacance le goût d'une conquête.


Grigny, 30 juin 2013
Photo : Jean-Pierre Le Hen

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